La récente réforme du droit des marchés publics uniformise les dispositions relatives à la sous-traitance. En outre, l’ordonnance du 23 juillet 2015 ne cantonne plus le recours à la sous-traitance aux marchés de travaux et de services mais l’ouvre à tous les marchés publics. Enfin, la sous-traitance peut désormais être limitée sous réserve que la limitation s’applique à certaines tâches essentielles.
L ’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage. » L’adoption de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 a profondément modifié le périmètre de la sous-traitance dans le cadre des marchés publics. En effet, l’article 62. I de l’ordonnance du 23 juillet 2015 dispose désormais que : « I. – Le titulaire d’un marché public peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l’exécution de ce marché public dans les conditions fixées par la loi du 31 décembre 1975 susvisée. Pour les marchés publics de travaux ou de services ainsi que pour les marchés publics de fournitures comportant des services ou des travaux de pose ou d’installation dans le cadre d’un marché public de fournitures, les acheteurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le titulaire ». Ainsi, que ce soit pour les marchés publics de droit privé ou de droit public, l’ordonnance autorise la sous-traitance pour certains marchés de fournitures et permet à l’acheteur de limiter le recours à la sous-traitance.
L’uniformisation des dispositions relatives à la sous-traitance
La nouvelle directive « marchés publics » 2014/24/UE a été transposée dans un corpus juridique unique, à savoir l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et son décret d’application n° 2016-360 du 25 mars 2016, applicable à la fois aux pouvoirs adjducateurs publics et privés.
Les pouvoirs adjducateurs publics ou privés passent désormais tous des « marchés publics » qui peuvent être des contrats administratifs ou des contrats de droit privé.
La qualification légale de contrat administratif est élargie par l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 à tous les marchés publics passés par une personne publique. Pour les marchés publics des pouvoirs adjudicateurs privés, l’absence de qualification légale oblige à appliquer les critères jurisprudentiels (clauses exorbitantes de droit commun, domaine public…) pour identifier la nature administrative ou privée de ces contrats.
Ce corpus juridique unique a été l’occasion d’un rapprochement de certaines dispositions qui sont ainsi devenues identiques pour tous les pouvoirs adjudicateurs qu’ils soient publics ou privés. C’est le cas notamment des dispositions sur la sous-traitance.
Les dispositions relatives à la sous-traitance (paiement direct, sous-traitance totale, limitation de la sous-traitance, sous-traitance des marchés de fournitures….) sont applicables aux marchés publics, contrats administratifs, mais également aux marchés publics, contrat de droit privé.
En d’autres termes, que le marché public soit passé par une commune, un département, un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), une société publique locale (SPL) ou encore une société d’économie mixte locale (SEML), le cadre de la sous-traitance est identique.
Ce qui n’était pas le cas sous le Code des marchés publics et l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, et notamment pour la limitation de la sous-traitance et la sous-traitance des marchés de fournitures. Si la limitation de la sous-traitance était interdite pour les marchés publics soumis au code, elle l’était également pour les marchés soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 et cela, quelle que soit la nature du contrat, administrative ou privée.
En revanche, aucune disposition n’interdisait à un pouvoir adjudicateur soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 de sous-traiter les marchés de fournitures alors même que cela était prohibé pour les marchés publics régis par le code.
Ouverture de la sous-traitance aux marchés publics de fournitures
L’article 112 du Code des marchés publics limitait de manière exhaustive les marchés publics autorisés à recourir à la sous-traitance : « Le titulaire d’un marché public de travaux, d’un marché public de services ou d’un marché industriel peut sous-traiter l’exécution de certaines parties de son marché à condition d’avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l’acceptation de chaque sous-traitant et l’agrément de ses conditions de paiement ». La circulaire du 14 février 2012 relative au guide de bonnes pratiques en matière de marches publics venait également préciser que « la sous-traitance ne peut être utilisée que pour les marchés de travaux, les marchés de services et les marchés industriels » (point 21.1). Désormais, la rédaction de l’article 62 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ouvre le recours à la sous-traitance pour tous les marchés publics et plus simplement aux marchés de travaux et de services. Il est maintenant obsolète d’affirmer qu’un marché de fournitures ne peut donner lieu à sous-traitance. En revanche, cette ouverture ne remet pas en cause la distinction entre fournisseur et sous-traitant. Est un fournisseur, l’entreprise titulaire d’un contrat qui n’implique pas une obligation de faire, mais une simple obligation de fournir le ou du matériel nécessaire à l’exécution du marché. Ce n’est pas un contrat d’entreprise(1). Rien n’empêche le titulaire d’un marché de fournitures de faire appel à un autre fournisseur pour fournir une partie des fournitures objet du marché. Cela est parfaitement autorisé et l’était déjà sous le Code des marchés publics. Ce fournisseur ne sera pas pour autant un soustraitant au sens de l’article 1er de la loi de 1975. La nouveauté de l’article 62 réside notamment dans le fait qu’elle autorise la sous-traitance pour les marchés de fournitures dits mixtes à savoir : – les marchés publics de fournitures comportant des services ; – les marchés publics de fournitures accompagnés de travaux de pose ou d’installation. En dehors de ces deux cas, il n’existe pas de possibilité pour un titulaire d’un marché de fournitures de soustraiter. La limite entre marché de fournitures et services ou marché de fournitures et travaux est clairement définie à l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 : « II […] Un marché public de fournitures peut comprendre, à titre accessoire, des travaux de pose et d’installation. […] IV. Lorsqu’un marché public a pour objet des services et des fournitures, il est un marché de services si la valeur de ceux-ci dépasse celle des fournitures achetées. ». Prenons l’exemple concret d’un marché de fourniture, livraison et installation d’un parc informatique. Un tel marché implique la fourniture de matériel qui nécessite une prestation de service à savoir l’installation du parc informatique. Le coût de la prestation de service est supposé être inférieur au cout de l’installation. Ce type de marché est donc bien un marché public de fournitures au sens de l’article 5 de l’ordonnance. Sous le règne du Code des marchés publics, il n’était pas possible pour le titulaire de faire appel à un sous-traitant pour installer le parc informatique. L’article 62 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 l’autorise désormais. Le raisonnement sera identique pour un marché de photocopieurs ou encore d’un logiciel de comptabilité. Les cas de marchés publics de fournitures accompagnés de travaux de pose ou d’installation sont aussi légions comme par exemple l’achat de fourniture de signalisation verticale et d’éléments d’aménagement urbain, ou pour la fourniture, le montage et la pose de mobilier, ou encore la fourniture et pose de stores sur les fenêtres d’un bâtiment public… La pose de ces matériels ne pouvait être réalisée par un sous-traitant mais bien par le titulaire du marché. L’ordonnance du 23 juillet 2015 le permet maintenant. L’ouverture de la sous-traitance pour ces marchés de fournitures « mixtes » a pour but d’éviter la sous-traitance occulte c’est à dire faire intervenir un sous-traitant sans l’agrément du donneur d’ordre ou encore de qualifier abusivement de marché de travaux ou de marché de services un marché de fournitures « mixtes » pour permettre justement le recours à la sous-traitance.
Possibilité de limiter la soustraitance par le pouvoir adjudicateur
L’article 62.I de l’ordonnance du 23 juillet 2015 dispose que « Pour les marchés publics de travaux ou de services ainsi que pour les marchés publics de fournitures comportant des services ou des travaux de pose ou d’installation dans le cadre d’un marché public de fournitures, les acheteurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le titulaire ». Il transpose quasi in extenso l’article 63.2 de la directive 2014/24/UE. Ainsi, l’ordonnance du 23 juillet 2015 permet d’imposer une exécution de certaines prestations par le titulaire même du marché et ainsi d’écarter la sous-traitance sans que cela soit justifiée par les capacités techniques, professionnelles ou financières du sous-traitant mais par la nature même de la prestation à réaliser. C’est une véritable révolution dans la sous-traitance des marchés publics remettant en cause le principe de la libre sous-traitance selon lequel seule l’insuffisance des capacités techniques, professionnelles ou financières pouvait justifier le rejet d’un sous-traitant.
Une révolution matérialisée par la jurisprudence de la CJUE du 5 avril 2017(2). Dans cette affaire, la Cour a été amenée à se positionner sur une question préjudicielle portant sur la limitation du recours à la sous-traitance sous le règne de la directive secteurs réseaux 2004/17 désormais abrogée. La solution adoptée est en parfaite contradiction avec l’article 63.2 de la directive de 2014 actuellement en vigueur. La CJUE était interrogée sur la compatibilité d’une règlementation nationale permettant à l’acheteur public d’imposer au titulaire de réaliser les travaux principaux « y compris des tâches ne représentant, proportionnellement, qu’une faible part de ces travaux » et ainsi d’autoriser la sous-traitance uniquement pour les travaux accessoires. Elle a jugé que « les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition d’une réglementation nationale […] qui prévoit que, en cas de recours à des sous-traitants pour l’exécution d’un marché de travaux, l’adjudicataire est tenu de réaliser lui-même les travaux principaux, définis comme tels par l’entité adjudicatrice ». Il n’est pas fait en l’espèce référence à des « tâches essentielles » comme dans l’article 63 de la directive 2014/24/UE mais à des « travaux principaux » ce qui semble avoir toutefois un sens similaire. Limiter la sous-traitance n’était pas autorisé. Par cette jurisprudence, elle confirme sa position constante et son interprétation stricte qui ne permettait pas de limiter la sous-traitance(3). Elle a notamment sanctionné une législation imposant qu’a minima 25 % des travaux devait être réalisé par le titulaire(4). La seule limite admise par la Cour résidait dans le droit du pouvoir adjudicateur d’interdire des sous-traitants dont il n’avait pu vérifier les capacités au stade de la sélection des candidatures ou des offres(5). Dorénavant, la sous-traitance peut être limitée sous réserve que la limitation s’applique à certaines tâches essentielles. L’application concrète de l’article 62 de l’ordonnance n’est pas sans poser certaines difficultés qui se matérialisent notamment par trois questions : – Qu’est-ce qu’une tâche essentielle ? – Quand le pouvoir adjudicateur doit-il identifier les tâches essentielles ? – Doit-il justifier qu’une tâche est essentielle ?
La notion de « tâches essentielles » Bien entendu, il n’existe pas de définition jurisprudentielle de ce que peut être une « tâche essentielle ». Les définitions du terme « essentiel » du Petit Larousse permettent de tenter de délimiter cette notion : « Qui est indispensable pour que quelque chose existe » ou « Qui est d’une grande importance ; principal, capital ». Ainsi, il semble difficile d’écarter une appréciation liée à un aspect quantitatif. Une tâche est essentielle notamment parce qu’elle est majoritaire. Mais elle peut également représenter une part infime du marché tout en restant indispensable à sa bonne exécution. Quoiqu’il en soit, la notion de « tâche essentielle » doit être appréciée au cas par cas. L’identification des « tâches essentielles » dans le DCE L’application du principe de transparence et la lettre de l’article 62 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 impose à notre sens que le pouvoir adjudicateur informe les candidats préalablement au dépôt de leur candidature ou offre qu’il entend interdire la sous-traitance pour les « tâches essentielles ». Par ailleurs, celui-ci doit également clairement identifier en amont ce que sont les « tâches essentielles ». Ces éléments doivent être communiqués dans l’AAPC ou le règlement de la consultation. S’il n’est pas fait mention de cette volonté de limiter la sous-traitance, il ne sera pas possible de rejeter un sous-traitant pour ce motif. Ce principe s’applique d’ailleurs que ce soit au moment du dépôt de l’offre ou en cours d’exécution du marché. En effet, le sous-traitant ne peut intervenir sans avoir été régulièrement déclaré et agréé. La déclaration et l’agrément peuvent intervenir au stade de la remise de l’offre ou encore en cours d’exécution du marché public. La limitation de la sous-traitance en cours d’exécution du marché ne sera régulière que si elle a déjà été circonscrite dans les documents de la consultation. L’obligation de justifier les « tâches essentielles » Le texte n’impose pas au pouvoir adjudicateur de justifier dans le règlement de la consultation pourquoi ces tâches sont qualifiées d’essentielles. En revanche en cas de contentieux, celui-ci devra pouvoir justifier devant le juge de cette qualification. À l’inverse, le pouvoir adjudicateur n’a pas besoin de justifier ou de préciser les motifs qui l’ont conduit à interdire de sous-traiter les « tâches essentielles ». La nature même de ces tâches l’autorise à proscrire leur sous-traitance sans autre forme de justification. Les GME soumis à une limitation similaire à celle de la sous-traitance La question de l’identification de la notion de tâches essentielles et de son utilisation se pose également pour les groupements momentanés d’entreprises (GME). En effet, l’article 45 du décret n° 2016-360 d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 prévoit également la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d’exiger « que certaines tâches essentielles soient effectuées par l’un des membres du groupement ». Les difficultés d’application de cette disposition sont identiques à celles rencontrés pour la limitation de la sous-traitance.
(1) CE 26 septembre 2007, Département du Gard, req. n° 255993
(2) CJUE 5 avril 2017, Borta, aff. C-298/15.
(3) CJUE 10 octobre 2013, Swn Costruzioni de Mannochi Luigino, aff. C-94/12, pt 31.
(4) CJUE 14 juill. 2016, Wroclaw-Miasto Na Prawach Powiatu, aff. C-406/14.
(5) CJCE, 18 mars 2004, Siemens AG Ostereich, aff. C-314/01.
Auteur
Antoine Woimant
Avocat Associé