L’ettringite différée est un désordre évolutif de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur.
L’ettringite est une sulfaoluminate de calcium. Son apparition tardive plusieurs années après la formation du ciment du fait de la présence d’ions sulfates demeurés libres lors de la prise initiale du ciment est anormale. Elle est gonflante et entraîne donc dans le matériau des efforts importants qui finissent par provoquer des ruptures.
La position du juge civil
Le phénomène était parfaitement identifié dans les années 1990 comme le précise d’ailleurs l’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse du 22 avril 2009 (n°07/01137):
«Or, à l’époque des fabrications en cause qui s’échelonnent de 1987 à 1994 le phénomène de l’ettringite différée était ignoré, les premiers cas n’ayant été identifiés que dans les années 1990».
Dans cet arrêt, la Cour d’Appel a confirmé la responsabilité du constructeur à indemniser le maître d’ouvrage à la suite de désordres apparus sur des tuyaux ciments qui avaient éclaté en raison du phénomène de l’ettringite.
Il marque la connaissance du phénomène de l’ettringite par les professionnels du secteur aux années 1975:
« La SA LAFARGE CIMENTS spécialiste du ciment avait à plusieurs reprises attiré l’attention de sa cliente sur les dangers d’un étuvage excessif nuisible à une bonne tenue dans le temps des ouvrages réalisés à base de ciment, seul risque connu à l’époque et ce dès les années 1975 comme ont pu le relever différents experts […] Si l’incidence de la température sur la réaction sulfatique n’était pas connue, elle n’était nullement ignorée à l’époque lors des cycles d’étuvage pour son impact sur la durabilité des ouvrages à base de ciment et participait donc de vérifications élémentaires….»
Un autre exemple d’ettringite cette fois jugé par la Cour d’appel de Paris concernant des constructions réalisées en avril 1996 où le ciment avait souffert de la « formation progressive Page 2 d’ettringite » ayant entrainé la condamnation des constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du Code civil (CA Paris, 1er décembre 2004, n°03/10070).
La CA de Montpellier le 13 mars 2012 (n°11/02342) a également condamné les constructeurs à réparer le préjudice subi par le maître d’ouvrage pour des travaux réalisés en octobre 2003 indiquant qu’:
«En l’espèce, les désordres ayant affecté le réservoir d’incendie […] ont pour origine un excès de sulfates expansifs dans le béton livré et coulé par la société Bétons du Rouergue, qui se sont développés dès les premières heures de fabrication et après la mise en œuvre du béton.(…) Le vice affectant ce matériau nullement décelable lors de la livraison et le coulage réalisé par la société Bétons du Rouergue, a affecté la solidité de l’ouvrage et l’a ainsi rendu impropre à sa destination. […]. Tant l’expertise réalisée par M. Lacombe que les conclusions du laboratoire ayant procédé à l’analyse des échantillons du béton défectueux, identifient les désordres constatés comme provenant de la formation d’ettringite et de thaumasite, en lien avec un taux élevé de sulfates et de fines calcaires, ayant pour origine soit l’un des constituants du béton, en l’occurrence, le ciment, et/ou la nature et la qualité des agrégats (eau, sable’), soit une pollution accidentelle durant le transport du ciment ou au cours du gâchage».
Le tribunal de commerce de Créteil a aussi considéré que, sur des travaux réalisés en 2006, les désordres avaient pour origine « une ettringite différée dont le caractère expansif provoque des fissures » qui réside dans la mise en œuvre du béton liée au cycle thermique du béton, ayant entrainé la responsabilité des constructeurs (Tr. Commerce Créteil, 18 février 2014, n°RG 2012F00692).
La position du juge administratif
La Cour administrative d’appel de Nantes a condamné les constructeurs au titre du phénomène de l’ettringite dès 1997 sur des travaux réalisés au début des années 1990. Elle a en effet confirmé le jugement de 1ère instance condamnant un constructeur à verser à la région des Pays de la Loire la somme de 1 126 531,78 F sur le fondement de la garantie décennale pour des:
«désordres qui affectent les dalles plastiques qui recouvrent le sol des bâtiments du lycée de « La Herdrie » à Basse-Goulaine proviennent du gonflement du ragréage consécutif à une formation d’ettringite qui résulte d’une réaction chimique entre le gypse et l’un des composants du ciment ». (CAA Nantes, n° 94NT00944, 30 octobre 1997
La même problématique a été évoquée par la CAA de Bordeaux pour les travaux de remplacement de la suspension du pont d’Aquitaine en mars 2000. Cette dernière avait conclu a:
«l’utilisation de ciments exothermiques favorise l’élévation de la température du béton en cours de prise, ce qui constitue une des causes d’apparition à long terme de la pathologie susmentionnée [RSI]» (CAA Bordeaux, 7 janvier 2014, n° 10BX00160).
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’a pas à subordonner la mise en œuvre de la garantie décennale à une condition tenant à ce que la date de réalisation des effets décennaux des désordres soit connue.
Ainsi, sont indemnisables sur le fondement de la garantie décennale, les « désordres évolutifs » qui possèdent, lorsqu’ils sont constatés, les caractéristiques des dommages décennaux mais la garantie va s’étendre le cas échéant à la partie de ces désordres apparue au-delà des dix ans à compter de la réception.
«que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les dommages n’étaient pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, au motif que la date d’apparition des ultimes manifestations de ces désordres ne pouvait être précisée, alors qu’il n’est pas nécessaire, pour que les dommages présentent un caractère décennal, que la date à laquelle ils revêtiront un degré de gravité suffisant soit en mesure d’être précisée, pourvu que le processus d’aggravation soit inéluctable ;» (CE, Commune de Courcival, n°364311, 11 déc. 2013).
Le Conseil d’Etat suit en cela son rapporteur Pelissier dont les conclusions sont particulièrement pédagogiques:
«L’exigence tenant à ce que les effets des désordres prennent leur caractère décennal dans un délai prévisible signifie donc simplement pour vous, […], qu’il doit être certain qu’ils finiront par compromettre la solidité de l’ouvrage ou par le rendre impropre à sa destination, quelle que soit la date à laquelle ces effets se produisent. La notion de délai prévisible ne comporte donc aucun aspect temporel; il importe peu de savoir quand les désordres deviendront importants dès lors qu’il est certain qu’ils le deviendront un jour»
C’est la raison pour laquelle, les dommages qui apparaissent dans le délai de 10 ans et qui risquent de compromettre la solidité de l’ouvrage dans un délai prévisible sont donc garantis.
Enfin, l’ettringite différée n’emporte pas les caractéristiques de la force majeure et qui exonère les constructeurs de toute responsabilité.
Le juge administratif a confirmé que le phénomène de l’ettringite n’était pas un phénomène irrésistible ayant les caractéristiques de la force majeure en constatant que:
«la dégradation des parois du puits à partir de la profondeur de 42 mètres procède de la désagrégation du béton caractérisée notamment par la formation d’ettringite sous l’effet de l’infiltration d’eaux riches en sulfates ; que ces désordres sont de nature à affecter la solidité de l’ouvrage et à le rendre impropre à sa destination ; que ces désordres, qui n’étaient pas apparents lors de la réception des travaux, donnent donc lieu à la garantie qu’impliquent les principes dont s’inspirent les article 1792 et 2270 du code civil ».( TA MELUN 0503363/2, 2 juillet 2009, Département du Val de Marne).
L’extériorité exigée pour la reconnaissance de la force majeure comme cause exonératoire de responsabilité, ne peut en tout état de cause être retenue. C’est le constructeur qui coule le béton.
Auteur Jorge Mendes Constante |
Auteur Antoine Woimant |